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jeudi 7 avril 2016

LE HEROS MALGRE LUI
de
Maria Carpi



Dans la préface de l’édition brésilienne de La flamme bleue *, précédent et premier recueil de Maria Carpi que nous avons publié dans sa traduction française, Armando Trevisan, théologien, poète, critique, essayiste, écrit, devant les difficultés que soulève la lecture de Maria Carpi : « La poésie, c’est ça : la créativité du poète + la créativité du lecteur ».
Cette définition est d’autant plus vraie pour Le Héros malgré lui, recueil exigeant, qui requiert entièrement le lecteur, et cela dès le premier vers.
Difficile, hermétique, exigeante, n’est-ce pas suffisant pour détourner de cette poésie un lecteur pressé, déjà peu enclin à ouvrir un ouvrage de poésie ? Pourtant, je ne pourrais que l’enjoindre à passer au-delà de ses à-priori, à tenter l’expérience, pourquoi pas ? Mais je lui demanderai de la patience, de la constance si le texte lui reste hermétique. Car la poésie de Maria Carpi est traversée de fulgurances qui traversent le lecteur et l’illuminent, sans l’éblouir, d’une obscure clarté, suivant la réalité poétique du Héros malgré lui.

Constitué de quatre chants, Le cheval et les lieux/ Vulnérable est l’endroit/ la chute des fruits/Un rameau de joie, Le héros malgré lui est une odyssée intime, une traversée de la douleur, pour dire l’innommable. Il ne s’agit pas ici d’un exercice de style, d’une prouesse technique, mais d’un véritable enjeu, d’une expérience. Si d’autres ont eu recours au silence pour traduire l’indicible, entre les mots, les lignes, tel n’est pas le cas de Maria Carpi, qui, pour s’en approcher à recours à l’image, aux métaphores les plus singulières. Jamais gratuites. La métaphore comme moyen de mettre à distance, de trouver l’écart nécessaire entre soi et le non-évènement, entre soi et soi. Dans un article, Maria Carpi ne cite-t-elle pas  Pessoa : Le poète est un simulateur/Il simule si parfaitement/Qu’il va même jusqu’à simuler/La vraie douleur qu’il ressent. » Et cette simulation qui est tout sauf artificielle est le masque par lequel la parole va trouver le passage (le trou) pour sa propre vérité.
Ce passage, pour celui, celle, à qui la parole a été volée, est synonyme d’une véritable traversée.
Pour Le héros malgré lui, de Maria Carpi, poétesse à la filiation profondément spirituelle, c’est la traversée de la nuit obscure de Saint-Jean de la Croix, ou d’autres mystiques ou poètes… Une traversée qui commence en le voyant ligoté « Le voici, l’éminent rejeté/ Avec les membres sains amarrés à la camisole de force/ Les rames liées à l’arbre/Eminent gardien de la sève ». Le ton est donné : « Le voici ».
Et nous allons le suivre dans sa  souffrance, jusqu’au terme de sa délivrance. Que se passe-t-il avant la gloire du Héros malgré lui ?

Qui est-il ? Qui est ce héros abandonné ?  Est-ce celui qui crie « Eli, Eli, pourquoi m’as-tu abandonné ? » face au terrible silence de Dieu ? Est-ce la figure masculine de l’héroïne disgraciée, qui n’a d’autre recours que de suivre sa vision intérieure ? De mettre au monde sa voix intérieure, comme un fragment du grand tout, un souffle, un rythme, une respiration ? Est-il  «  la métaphore éloquente de l’être humain livré à une situation précaire, car il n’a pas de destinée, mais une insuffisance abyssale » (Astrid Cabral) ?
Figure symbolique, inépuisable, il est celui en qui les opposés se rejoignent (le bas et le haut, le sacré et le profane, le masculin et le féminin…).  Il représente la vie authentiquement réelle, qui si elle porte l’infini en elle, n’en est pas moins enracinée dans la terre-mère, la mère-nature. D’elle, les forces renaissent toujours, selon les cycles naturels qui seuls détiennent le secret de la permanence.
Maria Carpi dit en parlant de sa poésie que « dans mon cas, je suis passionnée par la lenteur de la semence. Je tombe amoureuse d’un noyau thématique et je le développe comme une partition musicale ». Si la douleur est le thème central du recueil, le vide, l’amour, et la mort en sont les thèmes corolaires, qui construisent l’œuvre et révèlent la nature intime de l’être humain, qui est le centre, le noyau de l’œuvre.

La poésie de Maria Carpi est tellurique. C’est une poésie de contrastes, d’oppositions qui convergent dans la figure du Héros malgré lui, capable d’éprouver jusqu’au bout cette dualité effrayante et de la dépasser par son don. La beauté de la vie est là, sous nos yeux, c’est notre aveuglement qui nous la dérobe. Chez Maria Carpi, il y a toujours un chemin à parcourir, une temporalité à travers différents lieux, même le vide qui permet la chute, car « Pour bien tomber dans l’amour il est nécessaire de refuser les ailes/ Et laisser la cicatrice voler. »
 S.P.



*A chama de azul/  La flamme bleue
coll. le cornet à voix, les arêtes