target='_blank'

samedi 7 mai 2016

Le Héros malgré lui, de Maria Carpi, par Luce Guilbaud




Le Héros malgré lui. Maria Carpi. Editions les Arêtes.


L’Homme, ce héros malgré lui. L’Homme confronté aux douleurs et aux joies de sa vie. Ce qui fait le destin de chaque individu… Maria Carpi, poète brésilienne, utilise le langage du mythe, de l’énigme pour dire la simple et complexe aventure de la vie. Ses paroles ne disent pas le quotidien mais par illuminations d’une pensée nourrie de philosophie et surtout par la Bible, ses poèmes nous parlent de nos limites et de l’au-delà de celles-ci, des fondations d’une mémoire inconnue, des courants qui baignent le cœur et ses ardeurs.
C’est un livre d’Heures enluminé de rêves et de visions, une poésie d’images transfigurant le réel. L’Homme est ce héros éternel, celui qui voit, qui parle, qui souffre, qui espère. Il peut être l’arbre symbole de la nature confronté à sa perte, à sa fuite, à sa peur, ce corps qui « voyage de racines au feuillage », « du feuillage aux fruits ». Naître, « voyage pour arriver au corps »- « s’exposer à l’existence » chaque poème dit ce magnifique et douloureux « risque de vie » dans un langage inspiré d’une grande force dramatique. « Combien de résurrections/ peut supporter le corps » - nous sommes dans la Passion, ses différentes stations. Celui qui sait, qui voit c’est parce que « La substance des yeux (est) à l’intérieur ».
Dans de nombreuses allusions christiques, Maria Carpi nous dévoile notre propre individuation autant que le travail de notre inconscient : « La fulgurance de l’éclair nous fend » et nous rend accessible à la connaissance.
Elle dit ce que le corps sait du désir, de la tension entre réel et idéal, entre la « pesanteur et la grâce ». « Les mains sans le corps écrivent/ le corps de l’histoire et purifient son feu ».
Poésie difficile ? Peut-être ! Mais c’est surtout une poésie qui s’ouvre au lecteur dans le partage d’une commune expérience avec les contradictions, les humiliations, les chutes, la tension vers le haut (Giacometti et son Homme qui marche), le « déséquilibre de l’obscurité » (« Le déséquilibre me fait entrer dans l’écriture » confie-t-elle) et malgré la difficulté à dire « ce qui reste et jamais ne sera mot » - « Dieu/ tombant dans les escarpements du livre » (elle aurait pu écrire le Livre), Maria Carpi nous touche intensément par ses visions poétiques.
Dans le dernier chapitre du livre : « Un rameau de joie », elle parle plus souvent à la première personne. Elle ramène à elle, à sa propre vie, les aventures du Héros. Toutes les identités mêlées aboutissent à sa propre intimité, comme elle avait pu s’approprier l’expérience de Jeanne d’Arc dans les « Flamme bleue » (aux mêmes éditions).
Le livre se termine sur la joie, la rédemption par la joie, ces moments qui illuminent notre vie, ce que la Bible nomme « dilatation du cœur » et même H. Michaux « Expansion à l’état pur ».


Vivre dit Maria Carpi, assumer notre destin, utiliser notre force de vie et notre lucidité pour donner du sens à l’ombre au seul risque que « Par l’insistance de l’ombre, le soleil éclate de son noyau ». Un magnifique recueil traduit du brésilien par Sandrine Pot avec la relecture de Helena Ferreira.

Luce Guilbaud