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mardi 4 mars 2014

Allee (Alameda)


















postface

           Il y a cinquante ans, en 1963, Astrid Cabral a tracé un nouveau chemin, une Allée, à l' autre bout de la terre, dans son Brésil natal, par de courts récits poétiques dont les plantes, les arbres, les fruits sont les personnages principaux. Dans ses contes végétaux, à travers l' évocation du monde naturel , par sa sensibilité, sa sensualité, son lyrisme, sa fantaisie elle est retournée  à la racine naturelle commune au Vivant. Suivant un chemin de vibrations, sans plan prédéterminé elle est remontée au monde originel, monde de l' enfance où la plus petite chose vit, respire. Mais cette évocation contient sa propre tragédie, celle du paradis perdu. Et si la main travaillant le plus activement à sa perte est celle de l' homme, si celui-ci peut se dresser devant la plante, tel un Dieu, dans le chemin remonté jusqu' aux origines, l' homme et la plante se retrouvent aussi démunis devant le vent, ou le déluge, auxquels personne ne commande. 
              Le rêve et le désir, la naissance et la mort, la destinée, modèlent, soulèvent les interrogations qui sont les ferments des contes. Si l’ évolution, le progrès y sont remis en cause c' est parce que celui-ci se fait aux dépends de la nature, de la terre qui s ’offre généreusement sans pour autant en être remercié. L’ homme d’ Allée, est l' homme moderne qui ne reconnaît plus sa parenté avec la terre. Il a oublié que l’ arbre, l’ insecte, l’ orange proviennent du même sol que lui. Dominant il exploite son environnement pour son unique profit. Pas une seule fois, ici, il ne tend la main pour caresser, pour demander humblement, mais il saisit, arrache, frappe. Ogre, il se prend pour Dieu. La plante l’ a fort bien compris, habituée qu’ elle est à le considérer comme l’ ennemi, qui, sans vergogne, l’ abattra selon ses plans, son bon plaisir. Mais elle, dans sa sagesse, sait bien que la volonté humaine n’est pas le seul danger qui la guette. 
           Astrid Cabral, chemine et nous dit une fois encore que devant certaines manifestations hommes et plantes sont égaux. Cette vérité marque-t-elle le bout de l' allée ? Si oui, pourquoi ne pas donner, ne serait-ce qu' une fois, la parole à l' homme ? Mais à quoi bon, quand celui-ci a oublié ce que la plante sait. C’ est dans la reconnaissance de sa condition dont se montre capable la plante que l’ auteure peut le mieux parler de la condition de l’ homme.
     Certains lecteurs pourraient peut-être s' étonner du contenu de la préface de Fausto Cunha ( critique et écrivain de science-fiction) de ses références au genre littéraire qu' est la SF. Mais en 1963, c' est la maison G.R.D. (Gumercindo Rocha Dorea), une maison d' édition brésilienne spécialisée dans ce domaine qui fut le premier éditeur d'Alameda. Car alors, avec ses vingt contes et du haut de ses vingt-sept ans, Astrid Cabral a fait entrer le lecteur dans une réalité autre où les personnages non-humains ont la parole. 
       Alameda est en cours de troisième réédition au Brésil, mais cette traduction est la première en français. Elle est le fruit d'une amitié avec une oeuvre et son auteure ( nous avions précédemment travaillé ensemble sur la traduction du recueil de poèmes Coeur sans frein, toujours aux ed. Les Arêtes). A partir d' un premier jet, entièrement réalisé par l' auteure, entre traduction et réécriture (l' auteure est maîtresse à bord ! ) nous avons relu et commenté ensemble côte à côte ( dans son appartement de Rio de Janeiro) chaque conte. Des séances animées où Astrid me lisait à voix haute l' original avant que je ne lui lise sa version française, lui posant toutes les questions que celle-ci me posait. Puis je suis rentrée en France avec une liasse de feuilles, et toutes nos notes. Sans savoir encore que l' un des thèmes de prédilection de ces contes, le temps, la fuite du temps, allait, assise devant mon ordinateur,devenir l' une de mes obsessions majeures.

                                                                                                                  S.P
                                                                                                                                      2014