Luce Guilbaud
Récit qui plonge ses racines dans un rêve douloureux
que le dormeur au réveil s’applique à retranscrire (Songe d’un Roi rêve d’aventure
d’amour).
Avec Nuit l’habitable, Luce Guilbaud renouant
avec l’expression du sentiment amoureux telle qu’elle a été créée par les
poètes du Moyen-Age (quête et ritualisation, personnification des sentiments
qui donne au récit sa forme allégorique, qu’induit également le rêve.) ne s’
identifie pas pour autant à celle-ci. Non seulement l’époque n’est plus la
même mais celle qui parle est ici l’amante. D’ objet de la quête, servie par
l’homme afin de conquérir et son coeur et son corps, elle est devenue sujet.
Quand le roi René nous livre le rêve d’une nuit, dont il sort éprouvé,
l’amante, elle, tisse le rêve qui rend la nuit habitable, suggérant que l’objet
de la quête n’est ni l’homme ou la femme, mais bien l’amour…
« Ce serait quand l’instant premier de l’amour ?
Quand ?
On ne le sait jamais »
Dans cette question et dans sa réponse définitivement ouverte se tient une part essentielle du poème. L’existence de l’amour ne peut pas plus être éludée que saisie. Les pourquoi et comment, les causes avec lesquelles tant de romances s’écrivent chaque jour cachent une réalité infiniment plus riche, que les poètes du moyen âge avaient eux aussi entrevus : si l’amant ou l’amante n’a jamais la certitude absolue de la réalité de l’amour, si les causes qui l’ont engendré ne donneront jamais la preuve tant cherchée, irréfutable de vérité, l’art d’aimer, lui est digne d’être acquis.
Long poème d’amour , Nuit l’habitable, parle de
cette quête. Et de ses conséquences irréversibles.
« le coeur cherche son rythme
ne sait pas qu’il est rouge qu’il est sang. »
Essentielle, la force
d’attraction est telle qu’il est vain d’y résister. L’aventure d’amour a
commencé ! Transitoire la nuit est habitable, mais qui voudrait y demeurer s’y
perdrait . A peine l’amant/ l’amante croit avoir trouvé un refuge , abordé une
terre, qu’une rencontre, un obstacle, une catastrophe naturelle l’en chasse.
L’amour ne se possède pas.
Nous sommes ici très loin des clichés actuels (ni
crudité facile, ni morbidité, ni boulimie ou anorexie de sentiments, fausse
pudeur… ). Le poème ne cherche pas le scandale.
La légèreté n’en est pas chassée comme une intruse, et
si souvent elle en est absente c’est à cause de l’impuissance, de la peur
d’aimer qui nous menace tous. La quête est longue, difficile. Le doute est un
ennemi redoutable qui se cache aussi bien dans Tristesse, Mélancolie que
Jalousie.
« On a vu des fleuves sortir de leur lit
Pour entrer dans la gorge
Ne reste que la boue et le trouble »
La profondeur où descendent les amants ne reflète rien, c’est un intime que l’on ne peut révéler. Si le noir est possible c’est bien que les amants sont séparés et dès lors ce n’est que de cette séparation qu’il est question.
Heureusement entre la poésie et l’amour le lien n’est
pas rompu. L’amour avec ses saisons, ses déraisons, ses cris, son exubérance,
son charme, sa chair, ses fruits, la vie la mort toujours en lui, par lui
entremêlées, parfois si distinctement que les amants s’y blessent, criant à la
division, à la trahison, d’autrefois si bien confondues qu’ils ne craignent ni
l’une ni l’autre.
La quête a cette vertu qu’elle donne des réponses que
l’on ignorait chercher.
« dès maintenant j’entre je suis entrée
dans
l’autre temps. »
S.P (note d’éditrice)
1. Nuit dans la chambre du Roi.
dans un lit à baldaquin avec rideaux
rouge sombre
le
Roi dort tandis qu’un jeune homme aux cheveux blonds
lui retire le cœur il a un carquois et des flèches
et regarde un homme en pourpoint blanc
la lumière vient de la droite par le
bas
(songe
d’un Roi rêve d’aventure d’amour)
parce que la nuit
infiniment
la nuit une autre habitable
sans pensées gisant de draps plus amples
enveloppés comme
dans l’armoire ces
draps-là réservés
les plis jaunis pour jamais
et les autres brodés à
la noce des filles
pour toutes les nuits
tissées avec le chaud
avec la main le désir (les regrets)
un homme cherche dans sa
poitrine et fouille
un rosier rouge
tiendrait la maison et ses ruines futures
c’est le cœur qui passe
avec ses épines noires
dans la nuit de terre
d’ombre
d’insomnies blanches
tu serais éveillé
et l’archer (Mars ou
Eros) te délivrerait.
...
...